Juin 1940, les événements à la frontière franco-suisse dans le jura vaudois.
Avertissement
Ce document manuscrit du
colonel Joseph Junod, exhumé des archives familiales, relate les événements
qui se sont déroulés dans la région Vallorbe – Ste-Croix lors de la 2ème mobilisation,
en mai et juin 1940. En service au sein du Régiment frontière 41 à cette époque
précise, donc en observateur privilégié,
il livre une année après la fin de la guerre, un intéressant témoignage sur
cette page d’histoire relative à l’engagement de nos troupes à la frontière
franco-suisse dans ce secteur alors que les armées allemandes déferlaient en
France.
Le récit de ces
événements, largement diffusés depuis, objet de nombreuses études, a le mérite de plonger le lecteur dans la petite histoire telle que
celle vécue par les militaires et les citoyens de cette région. Il souligne surtout la grande incertitude dans lequel était plongé notre pays à l'heure d'une probable invasion. On y relèvera également nombre de détails, parfois cocasses, parfois tragiques, qui ne figurent pas
forcément dans la littérature actuelle.
Dans sa grande majorité
le texte a été intégralement respecté, de même que la ponctuation. Toutefois,
les mots en caractères italiques traduisent quelques abréviations ou précisent
des lieux, pas forcément familiers du lecteur. Quelques modifications ont été
faites dans la mise en page afin de rendre sa lecture plus agréable. Les cartes sont également de l’auteur.
Lausanne, le
30.09.2019
_________________________________________________
Colonel Joseph Junod,
1888 – 1965
___________________________________________________________
Conférence donnée au Club des Ste-Crix de Lausanne, le 28.10.1946
Les
événements de la guerre à la frontière du Jura vaudois (dans la région de
Ste-Croix tout spécialement) en mai et juin 1940.
Sommaire :
1.
La
lutte contre le moral et la force combative de l’armée
1.1. L’espionnage.
1.2. Le sabotage.
1.3. La propagande antinationale. La 5ème
colonne.
2.
Les
événements militaires de mai / juin 1940 à notre frontière dans la région de
Ste- Croix.
2.1. Les événements dans l’espace aérien.
2.2. Les événements terrestres.
Ma modeste étude est basée sur des renseignements émanant de
l’armée, sur ceux recueillis au jour le jour par les troupes que j’avais à
l’époque sous mes ordres dans la région de Ste-Croix, sur les détails tirés des
« journaux » tenus dans mon Rgt (régiment),
sur mes souvenirs personnels.
En guise d’introduction, j’effleurerai quelques sujets, d’un
ordre un peu général, qui, à première vue ne paraîtront peut-être pas
correspondre au titre donné à ma causerie. Ils sont destinés à recréer
l’ambiance dans laquelle se déroulèrent les événements qui se produisirent à
l’époque, combien tragiques, de mai et juin 1940.
Ces sujets préliminaires évoquent la lutte contre le moral et
la force combative de l’armée qui se traduisit à l’époque dans l’ensemble de
notre pays par
· - l’espionnage,
très poussé par l’un des belligérants,
· - les
tentatives de sabotage, qui réussirent moins bien,
· - les
menées anti-nationales, soit l’action de la 5ème colonne.
1. La lutte contre le moral et la force combative de l’armée.
On a dit de la défaite française de
1940, qu’elle était moins l’œuvre de l’armée allemande que des civils français.
C’est vrai, en partie. Les fausses nouvelles ou les nouvelles exagérées qu’a
transmises la radio de l’ennemi ont fini par créer la panique, et la panique a
jeté sur les routes ces colonnes de fuyards civils qui ont congestionné les
voies de communication indispensables aux armées.
Et puis, dès l’offensive de 1940, soir
après soir, la radio allemande affirmait, confirmait, démontrait la supériorité
et la puissance irrésistible de l’armement du Reich et annonçait victoires sur
victoires.
Les troupes franco-britanniques et
belges captaient sans cesse des émissions spéciales. Chaque fois les soldats
attendaient, espéraient que leurs propres émetteurs allaient démentir…. Mais à
chaque fois c’était malheureusement une confirmation qui émanait du GQG (Grand Quartier Général) français
lui-même. La simple diffusion des nouvelles militaires et des communiqués
officiels a ainsi exercé une indéniable action dissolvante.
A ce régime, les nerfs tendus au paroxysme
perdaient peu à peu de leur résistance.
A cette action s’ajoutait celle plus sournoise de l’espionnage, la menace du sabotage et la hantise de la 5ème colonne.
A cette action s’ajoutait celle plus sournoise de l’espionnage, la menace du sabotage et la hantise de la 5ème colonne.
Qu’en fut-il dans notre pays ?
1.1 L’espionnage
Pendant la Mobilisation 14-18,
l’espionnage contre notre pays ne revêtit pas une envergure très prononcée.
L’esprit de conquête des états dictatoriaux dans l’entre-deux-guerres, de l’un
d’eux spécialement, provoqua un changement radical. Dès avant 1939 on constata
une recrudescence de l’espionnage sur notre territoire. L’Allemagne, pour ne
pas la nommer, se mit à prospecter notre défense nationale de façon
systématique.
N’oublions pas que la chose lui était
facilitée par le grand nombre de ses ressortissants habitant notre pays et par
le fait qu’en Suisse s’était constitués un certain nombre de groupements
politiques inspirés des idées totalitaires hitlériennes.
A l’époque, notre législation était
manifestement insuffisante pour lutter contre un service d’espionnage dont
l’organisation était poussée à un degré inouï et inconnu jusqu’alors. Les
autorités fédérales y remédièrent grandement par une série d’arrêtés pris de
fin 1939 à août 1942, arrêtés prévoyant la répression des délits de sabotage,
de propagation de faux-bruits, de violation du secret militaire, de trahison et
introduisant la peine de mort, qui jusqu’alors n’était applicable qu’en cas de
guerre et pas pour le cas du service actif.
L’espionnage allemand, de loin le plus
conséquent, était organisé comme suit dès avant la guerre déjà :
Le bureau central d’espionnage de la
Wehrmacht était installé à Berlin. Il avait à sa tête le célèbre amiral
Canaris. L’une de ses sections était chargée spécialement de l’espionnage
contre la Suisse. Son siège était à Stuttgart. Elle fonctionnait camouflée en
entreprise commerciale. Ayant à sa tête un E.M. (état-major) très bien étoffé, elle eu une activité intense. De
Stuttgart partaient des antennes en direction de la Suisse aboutissant à des
agences organisées en bordure de notre frontière, ainsi à Lörrach, Waldhut,
Constance, Feldkirch, puis plus tard, une fois la France occupée à Besançon et
Dijon.
Ces agences frontalières fixaient
leurs missions aux espions, recevaient leurs rapports à l’intention de la
Centrale de Stuttgart.
A quels agents les Allemands avaient-ils recours ?
· A
tout seigneur tout honneur ! A l’ambassade allemande de Berne tout
d’abord, dont le personnel augmenta dans une proportion extraordinaire ; aux
consulats allemands ensuite (à celui de Lausanne très spécialement); à des
soi-disant agences de voyages allemandes enfin.
·
Il
y eut encore d’autres sources. J’en cite quelques-unes : tout Allemand
pénétrant en Suisse, pour affaires, pour raisons de famille, était chargé d’une
mission en relation avec le S.R. (service
du renseignement) du Reich, puis les Allemands habitant notre pays. Au
début du conflit ils étaient au nombre de 150'000. Chose curieuse, seule une
faible proportion d’entre-eux fut appelés sous les drapeaux (3'000 sur 16'000
mobilisables). Ils rendaient de meilleurs services dans la place. Leur rôle
consistait souvent à servir de « boîte aux lettres » pour les
rapports fournis par des espions. Certains d’entre-eux furent préposés et
préparés à commettre des actes de sabotage dès l’ouverture des hostilités
contre notre pays.
· Les
Suisses aux idées national-socialistes : il y en avait dans toutes les
classes de la population. Certains d’entre-eux payèrent du reste leur trahison
par la mort (major Pfiser, Plt Reymann, lt Külly, fourrier Zürcher et Fehr, par
exemple).
· Les
très nombreux Allemands naturalisés, dont beaucoup avaient conservé de
profondes attaches avec leur patrie d’origine.
· Enfin
les éléments douteux que l’on trouve dans chaque pays, aptes à toutes
compromissions et pour lesquels l’argent n’a pas d’odeur.
A ces espions l’Allemagne promettrait
très largement de belles situations dans le cadre de la « Nouvelle
Europe » national-socialiste, leur donnait l’assurance qu’en cas
d’arrestation, leur libération serait obtenue, même par la force et qu’en tout
cas leurs familles n’auraient pas à souffrir pécuniairement de leur séjour en prison.
Il n’est pas exagéré de dire que le
nombre des espions ayant travaillé pour l’Allemagne dépasse le millier. Ce luxe
de personnel et de moyens s’explique par le fait que les dirigeants du Reich
avaient le dessein bien arrêté d’envahir notre pays. Autrement, il ne se
justifierait pas.
Nous avons dit que la centrale d’espionnage contre la Suisse était à Stuttgart, installée au
« Panoramaheim » (centre
d'accueil pour les Suisses et les Liechtensteinois entrés pour la plupart
illégalement en Allemagne) où étaient envoyés tous les ressortissants suisses ayant quitté
légalement ou illégalement notre pays dans l’intention de trouver du travail en
Allemagne ou désireux de s’engager dans la Wehrmacht. Dans ces cadres supérieurs
se trouvaient malheureusement des Suisses, traîtres à leur pays.
Les arrivants étaient soumis à un
interrogatoire serré. Ils étaient entre’
autres questionnés sur leur situation et leurs connaissances militaires, leur
activité éventuelle dans les entreprises ayant participé à la construction de
nos fortifications. On les attribuait alors au service de l’espionnage ou on
les incorporait de force dans les Waffen SS.
Le dessin du réseau d’espionnage sur
notre territoire était volontairement très compliqué. Ainsi si l’un de ses
traîtres ou de ses agents étaient découverts, le système général restait
impénétrable. Les ramifications de ce réseau d’espionnage aboutissaient jusque
dans la troupe mobilisée.
La transmission des renseignements se
faisaient par des voies changeant périodiquement et par des émetteurs
clandestins. Les intermédiaires, étaient laissés dans l’ignorance de la source
du renseignement qu’ils transmettaient comme de sa destination finale. Les
renseignements se communiquaient oralement ou par des écrits à l’encre
sympathique. Ils étaient aussi remis sous forme de croquis et de plans ou
encore sous forme de petites photos, obtenues par un appareil Minox si
minuscule qu’il tenait dans le creux de la main.
C’est donc à Stuttgart toujours que
l’on formait les espions à leur tâche. Par petits groupes, afin qu’ils ne se
connaissent pas les uns les autres, ils suivaient des cours pour
l’établissement de croquis, l’utilisation de la radio, l’emploi des explosifs.
Ils franchissaient notre frontière,
tantôt légalement, avec de faux passeports, tantôt illégalement. On leur
délivrait de faux tickets de rationnement, des cartes topographiques suisses
fabriquées en Allemagne, parfois un appareil photo de poche, voire même un
appareil émetteur radio à ondes courtes monté dans une valise. Ainsi lestés,
ils voyageaient à pied, à bicyclette, en auto, ou avec un abonnement général
des CFF.
Les renseignements sur les armes
nouvelles étaient spécialement recherchés. Des primes furent offertes, allant
dans un cas jusqu’à 50'000 frs. L’Allemagne offrait 1'000 frs pour obtenir une
arbalète anti-chars (canon anti-chars). Les cambriolages, déjoués par notre anti-espionnage,
furent préparés à cet effet.
Par l’ensemble des rapports obtenus
des espions, la centrale de Stuttgart tendait à connaître à fond notre degré de
préparation à la guerre, nos moyens et nos méthodes de défense. La Wehrmacht
voulait être ainsi à même de connaître certaines portes de notre dispositif et
être à même de troubler notre mobilisation et la mise en place de nos troupes.
L’ampleur de l’espionnage est donnée
par le fait que notre service de contre-espionnage a mené au cours du service
actif 11'526 enquêtes contre des
espions !
Quelques cas d’espionnage illustrent ce que je viens de
dire :
L’un d’entre eux visait le secteur que
le Rgt. fr. 41 (régiment frontière 41) avait à défendre dans la région de
Ste-Croix. L’agent qui y opérait avait reçu pour mission de fournir des
renseignements précis sur les fortifications des bat. fr- 211, 212, 213, 214,
215, 216, sur les officiers de ces bat. (spécialement sur ceux qui
pouvaient avoir des sympathies pour le régime national-socialiste), sur les
barrages anti-chars établis sur notre routes, etc…
Un autre agent avait reçu l’ordre
suivant : « La 7ème Div. a été alarmé ce matin 24.2.42 à
0700 pour un exercice d’occupation de son secteur du « Réduit ». Les
positons doivent être occupées jusqu’à ce soir à 2100. Nommer la composition de
cette Div., ses moyens en canons anti-chars, l’organisation de la subordination
dans le secteur occupé, le détail des positions.»
L’un des cas d’espionnage les plus
importants eut pour artisan l’adj. sof Modespacher, technicien dans un bureau
des fortifications. Quelques semaines avant la guerre, cet individu était déjà
en possession d’un visa permanent pour l’Allemagne.
A 18 reprises il l’utilisa pour se
rendre outre-Rhin. Il livra : 44 plans d’ouvrages fortifiés pour lesquels
il toucha 4'400 frs et 35 cartes topographiques au 1 :25000 qu’il avait
réussi à acheter.
Cet espion, ce traître, parcourait en
auto toute la frontière N et la frontière W. On le signale à Ste-Croix et à
Vallorbe. Au cours des ses randonnées, il reportait sur carte de nombreuses
indications concernant nos troupes frontières. Son cas passa au T.M. (Tribunal militaire) avant l’introduction
de la peine de mort, ce qui eut malheureusement pour effet qu’il échappa au suprême
châtiment.
Un autre cas d’espionnage fut celui
perpétré par un officier supérieur de l’armée suisse, le major Pfister, qui paya
sa traîtrise de sa vie. Il livra à l’Allemagne une carte de la Suisse au
1 :400 000 sur laquelle il avait reporté : les limites du
« Réduit », les secteurs du C.A. (Corps
d’armée) et des Div. (division),
les dépôts de benzine et de pneus. Il remit en outre au service d’espionnage
allemand un ordre secret du Général concernant l’exercice de mob G du 2. C.A.
du 10.03.1942. Puis encore le nombre de nos engins blindés et des
renseignements sur nos lance-flammes.
Ces quelques exemples nous montrent le
danger couru par la Suisse et quel fut la lourde tâche de notre service de
contre-espionnage. J’ai surtout parlé de l’espionnage allemand
…. Et pour cause.
Qu’en fut-il de celui d’autres
pays ?
De la part de l’Italie, 4 cas d’espionnage
seulement furent éventés. Et aucun étaient-ils de minime importance.
Les Alliés, de leur côté, n’arrivèrent
pas dans ce genre d’activité à la cheville des Allemands. Vers la fin de la
guerre toutefois un réseau d’espionnage allié fut découvert en Suisse (postes
émetteurs clandestins). Il ne visait pas directement notre pays, mais bien
l’Allemagne à travers notre territoire.
En bref, le nombre des cas
d’espionnage dont eurent à s’occuper nos tribunaux militaires de 1939 à 1945
fut d’environ 500.
Le nombre des arrestations se monta à
1'389 (d’autres étaient prêtes à être opérées au cas où notre pays eut été
entraîné dans le conflit). Les condamnés, 283 étaient Suisses, 142 Allemands,
10 Français, 1 Anglais, etc… 33 condamnations à mort en résultèrent (dont 5 par
contumace). Une seule fut transformée en réclusion à perpétuité par l’Assemblée
fédérale. Au total, les tribunaux militaires ont prononcé des peines
d’emprisonnement d’une durée de 956 années et 3 mois.
1.2 Le sabotage
Les cas de tentative de sabotage
furent relativement peu nombreux. Ils furent éventés à temps. Ils donnèrent lieu de la part de notre service de sécurité à 115 enquêtes.
Citons un de ces cas parmi
d’autres :
Dans la nuit du
13/14.6.1940 (donc à l’époque qui nous intéresse plus spécialement), 10
saboteurs entrèrent clandestinement en Suisse près de Constance et de Martinsbrück
(Grisons / Autriche). Ils avaient
touché à Berlin même des habits neufs, 500 frs en argent suisse, un passeport
falsifié, une boîte contenant un explosif, une arme automatique, 40 cartouches,
1 poignard, des jumelles, des cisailles pour fil de fer, une boussole, une
carte de la Suisse, une lampe de poche.
Leur mission était de
détruire dans la nuit du 16/17.6. les avions militaires stationnés sur les
places de Lausanne, Payerne, Berne et Spreitenbach, ainsi que la fabrique de
munitions d’Altdorf, ceci en mesure de représailles contre le fait que la
Suisse s’était permise d’abattre les avions allemands violant le territoire de
la Confédération. Au départ de Berlin, ces saboteurs durent prêter serment de
se taire, sous peine de mort, s’ils venaient à être capturés.
Grâce à l’attention d’un
employé de chemin de fer, à la surveillance intensive de la police et au
renforcement de la garde des aérodromes, ces sabotages purent être empêchés. 9
des 10 saboteurs furent arrêtés avant qu’ils puissent accomplir leur mission (2
Suisses et 7 Allemands). Tous furent condamnés à la réclusion perpétuelle. Le
10ème put s’échapper, mais son matériel resta entre nos mains.
1.3 Propagande antinationale. Rôle de la 5ème colonne.
De nombreuses tentatives de propagande
antinationale furent faites dans l’armée, spécialement au cours des premières
années de mob G. Le résultat fut très maigre grâce à l’énergie des autorités
civiles et militaires et au bon sens du soldat suisse. Les acteurs de travail
insidieux et dissolvant étaient en général des membres des partis politiques
extrémistes de droite et de gauche, parfois qui furent très tôt interdits.
Leur but était de miner la cohésion de l’armée, d’affaiblir son mordant et de
créer ainsi une ambiance de non-résistance à l’égard d’assaillants possibles.
La propagande anti-nationale fut
interdite dans l’armée par un arrêté du Conseil fédéral du 4.12.39. Sur cette
base nos tribunaux militaires purent prononcer de 1940 à 1942 :
- 18
condamnations de nationaux-socialistes (extrémistes de droite)
- 21
condamnations de communistes (extrémistes de gauche).
Le cas Däniker (Réf : https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/023463/2005-03-15/), en 1941,
rentre dans cette catégorie. Ce colonel instructeur, par ailleurs très
qualifié, mais ayant des sympathies pro allemandes, avait eu l’occasion de
séjourner cette année-là quelques temps en Allemagne, à titre privé. Impressionné
par la force du régime et de l’armée, il rédigea à l’intention du Conseil
fédéral un « Mémoire sur ses constations et impressions », mémoire
que je n’ai pas lu, mais qui devait certainement être défaitiste. Il eut le
tort de le rendre public, ce qui lui valut punition et d’être relevé de son
commandement et de ses fonctions d’instructeur.
Il vous souvient que l’existence d’une
5ème colonne dans notre pays fit passablement de bruit, en 1940 tout
spécialement. Les ordres donnés d’une
part à son sujet et les racontars qui circulaient de bouche à bouche d’autre
part, ne furent pas sans jeter un certain trouble dans l’armée et dans la
population. Pendant quelques semaines de mai et de juin 40, on voyait des
espions et des saboteurs partout, on arrêtait des suspects à tour de bras, on
fouillait les autos qui toutes paraissaient avoir quelque chose de mystérieux,
on apercevait des signaux lumineux étranges dans toutes les directions, on
installait des barrages sur toutes les routes, aux entrées de toutes les
localités. Tout cela, il vous en souvient probablement, énervait
considérablement le soldat et donnait du fil à retordre à leurs chefs.
Avec le recul du temps certains faits,
comme les suivants, paraissent ridicules. Mais replacés dans l’ambiance de
l’époque ils caractérisent bien la menace que l’on sentait planer sur le pays.
Photo DHS. |
A
mon PC de Rgt à Orbe, des volontaires passaient des nuits entières sur le toit
de la maison pour surveiller les habitations voisines où plusieurs voulaient
avoir constaté des choses suspectes. Rien ne put être découvert !
Au
PC du bat 211 à Ste-Croix on lançait de nuit des patrouilles d’officiers dans
les différentes directions où l’on était sûr, mais sûr, d’avoir vu monter des
fusées. Ces patrouilles rentrèrent toutes bredouilles.
Un
jour de foire à Sainte-Croix, un Monsieur dont l’allure paraissait étrange fut
arrêté sur le champ de foire même. Identifié, ce personnage se révéla être………. le colonel Henri Fonjallaz en séjour dans la localité !
Si vraiment une 5ème
colonne a eu pour mission de répandre l’anxiété en Suisse en mai et juin 1940
elle y a réussi pendant quelques temps. Mais, à la vérité, on ne découvrit
jamais rien de grave.
Il n’en fut pas de même de l’autre
côté de la frontière où son activité n’est pas à nier. Quelques faits le
prouveront :
·
Dès
le début de l’offensive allemande de 1940 on signala des descentes de
parachutistes dans la région de Pontarlier. C’étaient là des faits réels.
· Le
17.5. soit 8 jours après le déclenchement de l’offensive, un vent de panique
commence à souffler. Pontarlier commence à évacuer.
· Le
21.5. il nous est donné de constater personnellement que les soldats français
qui font vis-à-vis à nos postes, commencent à se démoraliser.
· Le
24.5. on arrête à Pontarlier un parachutiste allemand déguisé en curé.
· Le
23.5. alors que les Allemands sont encore bien loin de Pontarlier, on nous
signale qu’il y règne une grande confusion.
· Le
4.6. les autorités pontissaliennes doivent prendre des mesures contre le
défaitisme et l’exode de la population.
·
Mais
le 13.6. on y prépare officiellement l’évacuation. Les cafés ferment à 2030.
Toute circulation est interdite dès 2100. On est persuadé à Pontarlier que
l’Allemagne va attaquer la Suisse. On fait sauter des dépôts de benzine.
Deux faits nous montrent que le rôle
de la 5ème colonne était bien organisé dans la région frontière
française :
·
Un
beau jour, Radio Stuttgart remercie ironiquement une dame de la Ferrière pour
l’accueil qu’elle a réservé à 2 officiers français en lui faisant savoir qu’il
s’agissait de 2 Allemands déguisés ! Radio-Stuttgart précisait bien la
date et l’heure d’arrivée de ces 2 espions chez ladite dame. Et cela
correspondait à la réalité.
·
Un
autre jour 4 gros appareils français neufs, du dernier modèle, arrivent à
Lons-le-Saulnier. Par mesure de précaution ils sont immédiatement mis à couvert
dans la forêt avoisinante. 40 minutes après, 7 bombardiers allemands
cette-fois, volant bas, jettent une 70aine de bombes à l’endroit précis où sont
camouflés les avions français et les détruisent.
2. J’en
arrive maintenant aux événements militaires qui se sont produits en mai et juin
40 à la frontière dans notre région. Reconstituons le cadre dans lequel ils
vont se dérouler et rappelons chronologiquement comment et à quelles dates le
sort tragique de notre voisine de l’ouest fut momentanément scellé.
10.05.40 : c’est brusquement la
fin de la « drôle de guerre ». A 0530 l’armée allemande (avec une centaine
de divisions très mobiles et fortement motorisées et un appui d’aviation inouï)
déclenche son offensive brutale sur un front de 400 km au Nord de ligne Maginot.
Elle viole délibérément les frontières de la Hollande et de la Belgique. Le
front ouest était tenu par une centaine de divisions anglo-françaises de valeur
très peu homogène, auxquelles s’ajoutaient automatiquement 21 divisions belges
et 9 divisions hollandaises. Ce jour-là, le Général Guisan prend des mesures de
sécurité immédiates : il ordonne la 2ème mob G.
11.5.40 notre mob G s’effectue dans le
calme et sans à-coups. En l’espace de 1/2 heure nos troupes frontières
occupent leurs emplacements de combats avec les 2/3 de leurs effectifs au moins.
Photo DHS |
La menace planant sur la Suisse est
grave. L’action des Allemands par le Nord va-t-elle s’accompagner d’une action
par le Sud à travers notre pays ? La violation de la neutralité de la
Hollande et de la Belgique sera-t-elle suivie de la violation de la neutralité
suisse ? Tout est possible. Aussi notre armée est-elle prête à réagir.
Le 1er temps de l’attaque
allemande est caractérisé par une avance foudroyante, accomplie non sans gros
efforts et de lourdes pertes, en direction E-W jusqu’à la mer.
Carte coll privée AC. |
Le 14.5. la Hollande est déjà
condamnée à capituler.
Le 28.5. c’est l’armée belge qui met
bas les armes.
Le 4.6. Dunkerque tombe après une
héroïque résistance qui permit à de gros effectifs anglais et français
d’embarquer à destination de l’Angleterre.
Sans aucun temps d’arrêt, les
Allemands déclenchent la 2ème phase de leur offensive axée d’une
part N-S, d’autre part E-W (cette dernière avec les troupes bordant le Rhin au
N de la Suisse).
L’offensive N-S part le 5.6 au matin
(au lendemain de la chute de Dunkerque). Elle commence par l’aile droite et se
propage jour après jour jusqu’à l’aile gauche. C’est en effet le 14.06
seulement que l’armée Von Luck (Hans -Ulrich Freiher von Luck und Vitten 15 juillet 1911 - 1er août 1997) passe à l’attaque de la ligne Maginot à travers le Rhin.
Entre temps, l’Italie entre en guerre
(10.6).
- Le
14.6. les troupes allemandes entrent à Paris (1 mois après la déclaration de
l’offensive !)
- Le
18.6. les troupes allemandes commencent à border notre frontière du Jura. C’est
une nouvelle menace. S’arrêteront-elles là ?
- Enfin
le 22.6. à 1850 l’armistice franco-allemand est signé suivi le 25.6. de
l’armistice franco – italien.
Voilà donc notre pays complètement encerclé par les armées de
l’Axe. Il est journellement à la merci d’une attaque de leur part.
Aussi la 1.Div. vient-elle renforcer nos troupes
frontières, ce qui occasionne un remaniement momentané des commandements tactiques
et un resserrement du dispositif.
Responsable jusqu’alors du secteur s’étendant du Mont-Aubert
à la Dent de Vaulion, je suis chargé du commandement d’un détachement combiné
(trp. fr., 1 bat, et de l’art de la 1. Div.) destiné à défendre plus
spécialement les trouées de Vallorbe et du Mollendruz - Le Cdt. du Rgt.inf. 2,
col Moulin, assume la défense de Ste-Croix.
Un mois est consacré à la mise au point de cette mission
(études, reconnaissances, exercices avec la troupe).
Peu à peu la situation se détend et se stabilise. Le 21.7.,
l’armée de campagne quitte la région frontière pour gagner le
« Réduit » qu’elle va organiser en une vaste forteresse au cours des
années de 1940 à 1944.
Je parlerai maintenant et successivement :
1. des
événements qui se sont déroulés dans le ciel de notre région en mai et juin
1940,
2. des événements militaires terrestres.
Ils n’ont rien de sensationnel. La plupart d’entre vous les
connaissent. C’est donc sans prétention aucune que je les rappelle. Je vous présente
le résumé de notes rédigées tout autant pour ma satisfaction personnelle d’ancien
Cdt. de ce secteur qu’à votre intention. Je m’excuse d’ores et déjà de cet
exposé un peu sec et farci de dates.
Pour ce qui s’est passé de l’autre côté de la frontière je
citerai les faits tels que nous les connaissions à l’époque par notre S.R. (service de renseignements) et non pas
tels qu’ils furent forcément en réalité. Je n’ai, en effet, pas eu le loisir
d’en contrôler le bien-fondé et l’exactitude.
2.1 Les événements dans l’espace aérien
Nul d’entre vous n’ignore la part
considérable prise par l’aviation au cours de la dernière guerre. A nos
frontières l’activité de l’aviation des nations belligérantes fut éminemment
variable suivant les époques. Elle atteignit ses maxima, tout d’abord dans la
période qui nous occupe : en mai 1940 il n’y eut pas moins de 113
violations de notre espace aérien, en juin, 84, ensuite au cours de l’année
1944 avec 2’212 violations.
Au total, de 1939 à la fin de la
guerre, notre espace aérien fut violé 6’501 fois, notre sol bombardé ou mitraillé
99 fois ; 186 avions furent contraints d’atterrir, 32 s’abattirent
accidentellement, 16 furent abattus par nos pilotes. 10 par notre D.C.A.
Ces chiffres trop peu connus montrent
quelle fut la lourde tâche de notre Serv. Rens. de repérage d’avions, de notre
aviation, de notre D.C.A.
Avec le déclenchement de l’offensive
allemande à l’W, le 10.5. une activité aérienne intense débuta à notre
frontière. Elle se prolongea jusqu’au jour de la mise hors de combat de la
France. A Pontarlier les alertes aériennes furent fréquentes.
Le 11.5. cette ville est survolée par
15 avions, 2 – 3 sont abattus dans la région (Mouchard, Arc-et-Senans).
Le 12 : 5 parachutistes allemand
descendent dans la région de Pontarlier, 2 sont arrêtés.
Le 13 : des avions étrangers
survolent les Aiguilles de Baumes.
Le 15 : les installations
ferroviaires de la région de Pontarlier sont bombardées.
Le 21 : Ste-Croix est survolé par
des avions étrangers.
Dès la fin du mois de mai la situation
s’aggrave. Nos troupes et la population de Ste-Croix vont vivre des journées
mouvementées dues souvent à l’activité aérienne des belligérants, des Allemands
principalement.
Ainsi, dans la seule journée du 1er
juin :
A 0420 et à 0500 plusieurs avions
étrangers survolent Ste-Croix. L’après-midi ce sont deux escadrilles
complètes.
A 1612, 12 bombardiers allemands, en 4
échelons de 3 appareils, surgissent de la direction du Mont des Verrières.
Notre poste frontière de la Gd-Borne (sgt Bissat) ouvre le feu sur eux. Un
avion se détache du groupe et rebrousse chemin.
A 1615 une nouvelle escadrille de bombardiers apparaît, mais sans pénétrer en Suisse. Puis ce sont encore 2 nouveaux
appareils.
Ces 14 avions disparaissent dans la
direction de Jougne, violemment pris à partie par la chasse et la D.C.A.
française. Ce fut un spectacle impressionnant pour l’époque. Nos hommes,
spectateurs et acteurs, s’en souviennent certainement.
En fin d’après-midi, un général de
Brigade français vient à la Gd-Borne et félicite le sgt Bissat pour l’action de
son poste !
Puis c’est à 1717 et à 1720 le retour
de 11 puis de 9 bombardiers sur lesquels le poste Bissat brûle encore 151
cartouches.
On apprend que ce jour-là la route La
Gaufre – Les Fourgs et la voie ferrée ont été bombardées.
Dans la nuit suivante à 0015, puis à
0200 et le matin du 2.6. à 0940 nous sommes de nouveau survolés. C’est ce
jour-là, à 1045 qu’un bombardier allemand, pris en chasse d’abord par les
Français, puis par nos aviateurs est contraint d’atterrir près d’Ursins. Nos
postes d’observation de la région de Sainte-Croix ont pu suivre le combat de
bout au bout..
Heinkel HP111 dans un champ à Ursins, abattu par la chasse suisse (photo Warbird.ch) |
Dans la journée, la ligne Frasne –
Vallorbe est bombardée.
Le 3.6. c’est de nouveau le tour de
Pontarlier. Les Allemands paraissent décidés à couper les voies de
communication entre la France et la Suisse. Il leur en coûte 20 bombardiers en
quelques jours.
Le 4.6. L’Abergement-Sainte-Marie est
bombardé et des parachutistes descendent dans la région de Pontarlier.
Du sommet du Cochet (modeste sommet qui domine Ste-Croix) on
peut assister à des combats aériens à proximité immédiate de notre frontière.
A 1445 un avion allemand, pourchassé
par les Français survole Vallorbe. Il est pris en chasse par notre aviation,
survole les Aiguilles de Baulmes et le Cochet à 1457, rentre en France où il
est abattu par la chasse française près de Pontarlier.
Au cours du même après-midi d’autres
avions allemands sont mitraillés par les nôtres et vont s’abattre sur
territoire français dans la région du Noirmont.
Le 5.6. nouvelles descentes de
parachutistes dans la région de Pontarlier et de l’Abergement.
Et ainsi de suite jusqu’à l’armistice,
avec ceci en plus que l’on voit apparaître sur notre contrée des avions
italiens.
Je rappelle pour mémoire les
bombardements de Renens, Genève et Daillens qui se produisirent au cours du
même mois.
Et le 15.6. c’est l’occupation de la
place d’aviation de Pontarlier par l’aviation allemande : ce jours-là 60
bombardiers allemands s’y posent.
2.2 Evénements terrestres à notre
frontière.
Je rappelle que l’offensive allemande
se déclenche le 10.5.40 sur un front de 400 km, mais qui n’affecte pas encore
la Suisse. Les soldats français à notre frontière, qui, jusqu’à ce jour, n’ont
pas eu une activité débordante, paraissent se réveiller. Les officiers nous
laissent entendre qu’ils font du « bon travail », car ils craignent
une attaque par la Suisse.
Le 14.5. entre 0200 et 0400 les
détachements qui nous font vis-à-vis sont alarmés. On perçoit de grands
mouvements de troupe. A Frasne des trains sont mis sous pression pour
d’importants transports.
Le 15.5. les patrouilles françaises le
long de la frontière se font plus nombreuses. Mais 2 régiments qui se
trouvaient dans notre région la quittent.
Le convoi de la légation d’Allemagne
en Belgique arrive en gare de Pontarlier, gardé par un fort détachement de
troupes. Il va y stationner une dizaine de jours, non sans que des incidents se
produisent : les enfants des fonctionnaires allemands se montrent
arrogants et malhonnêtes, font le poing aux soldats français. Pendant 2 jours
notre frontière parait abandonnée, puis brusquement le 17.5. le secteur se
repeuple. Il parait que la Division qui l’occupait a marché en direction du
Nord les 14 et 15, puis qu’un contre-ordre l’a renvoyée d’où elle est partie. Dans les
environs de Pontarlier stationnent 5 Div. de troupes coloniales.
Le 19.5. un général français est
signalé aux Fourgs.
Le 21.5. nouveau départ des troupes.
Le secteur se dépeuple une 2ème fois. Mais on signale une grande
concentration d’artillerie à Pontarlier (40 canons de 105 long).
Au cours de la semaine suivante de
nombreuses troupes traversent Pontarlier en direction du front. Par contre de
nombreux soldats français arrivent en sens contraire, dans une tenue
débraillée, souvent sans armes.
Le 10.6. l’Italie déclare la guerre à
la France. Cela occasionne des incidents à Pontarlier où des Italiens son
malmenés, des magasins pillés, des suspects arrêtés.
Un calme angoissant règne le long de
notre frontière. Dès le 12.6. elle est hermétiquement close. Toute entrée en
Suisse est interdite. Les passages de Jougne et du Frambourg sont copieusement
minés. Du poste des Rochettes on entend des explosions et des tirs de D.C.A..
Les événements vont se précipiter.
Le 15.6 la ligne Maginot, le long du
Rhin est enfoncée. Les 1ers éléments motorisés allemands font leur apparition à
Besançon. Le 45e C.A (Corps
d’armée) du général Daille est lancé en direction de cette ville. Il ne
peut l’atteindre. Après quelques jours de combat il est acculé à la Suisse où
il se fait interner dans la nuit tragique pour nous du 19/20.6.
Photo coll privée AC. |
Les troupes venant de Langres, des
« Joyeux » (bataillon
d’infanterie légère d’Afrique) entre autres, arrivent à Pontarlier où l’on
procède hâtivement à des travaux de fortifications. On fait sauter les dépôts
d’essence et de munitions. Et c’est le dimanche 16.6, journée pluvieuse et
brouillardeuse. Les événements sont à la couleur du temps. En Suisse, le général
met nos troupes bordant le Jura en état d’alarme. La « générale » est
battue dans les rues de Ste-Croix au cours de l’après-midi pour rassembler les
hommes déconsignés. Nos bat. fr. (bataillon
frontière) occupent leur position de combat, prêts à toute éventualité. Ils
sont renforcés par des éléments de la 1. Div. De l’autre côté de la frontière,
c’est la panique, contrastant avec notre calme. Les routes sont encombrées de
fugitifs. La population frontalière réclame la cessation des hostilités. La 5ème
colonne travaille à plein rendement.
L’évacuation du département du Doubs a
été ordonnée. Aux Fourgs une affiche enjoint la population de se préparer à
cette évacuation, évacuation englobant les personnes et le bétail. Les banques de Pontarlier demandent de
pouvoir transiter leurs avoirs par la Suisse, ce qui leur est accordé. Ces
fortunes sont convoyées par nos troupes sur Genève. Toute l’après-midi de ce
dimanche tragique, Pontarlier est traversé par un flot de réfugiés (des
Alsaciens surtout). On y voit des autos, des véhicules de toutes sortes,
empruntant toute la largeur de la chaussée. Les embouteillages sont
indescriptibles.
En même temps des troupes fraîches traversent la ville en direction de Besençon, ce qui accroît le désordre. Elles
n’iront du reste pas bien loin, Besançon est solidement aux mains des
Allemands.
Dans la soirée on apprend la démission
de Reynaud et la prise du pouvoir par Pétain. Le dénouement est proche !
Au cours de ces événements nous sommes survolés par des avions allemands. A
1030, puis à 1600 ce dimanche-là, on entend le bruit du combat en direction du Gd-Taureau
(sommet du massif du Jura, près de
Pontarlier).
Les réfugiés de la zone frontière commencent
à se présenter à nos postes. Au cours de la journée, le général nous a autorisé
à accueillir les femmes, les enfants jusqu’à 16 ans, les hommes de plus de 65
ans, les malades. Par contre les hommes de 16 à 65 ans doivent être refoulés, pour autant qu’ils
ne soient pas directement pourchassés par les Allemands et en danger de mort.
De ce fait, nombre d’hommes conduisant des voitures de réfugiés ou de bagages
sont arrêtés et refoulés. Ils repartent avec ou sans leur attelage. J’en arrive
à la journée du lundi 17.6., journée de mauvais temps également et d’épais brouillard,
ce qui ajoute encore au tragique de la situation. Ceux qui l’on vécue s’en
souviendront !
Le combat se déroule tout près de chez
nous. C’est au cours de cette journée, que se produisent l’attaque et
l’héroïque défense du Larmont supérieur à laquelle nous assistons en
spectateurs impuissants de certains de nos postes d’observations. Cette épopée,
je l’ai relatée en détail dans un n° de la « Feuille d’ Avis de
Ste-Croix » du mois de mai. Peut-être en avez-vous lu le récit. Je ne m’y
arrête pas (récit relaté dans mon blog "Juin 40 Forts de Joux et Larmont").
A nos postes frontières c’est l’afflux
des réfugiés, puis aussi de soldats débandés.
Carte coll privée AC. |
Mais, procédons avec méthode au récit
des incidents de ce jour : dès l’aube les douaniers des Hôpitaux et de la
Ferrière ont abandonné leurs postes. On sous signale qu’ils vont tenter de
pénétrer en Suisse. Ils abordent en effet nos postes de la région de Vallorbe –
Ballaigues, l’air embarrassé, cherchant à se renseigner sur une situation
absolument confuse pour eux, car ils ont perdu toute liaison avec les autorités
supérieures. Leur moral est très bas. Un officier des douanes, très déprimé,
nous déclare « Mieux vivre allemand, que mourir français ! ».
Triste mentalité ! Leur internement intervient à 5 h du matin. D’autre
part, dès l’aube, le bruit du combat, des explosions, parvient à nos oreilles.
A 0600 les Allemands se dirigent de
Pontarlier sur les Fourgs. Ils sont arrêtés à la Cluse-Mijoux. Ils obliquent
alors du côté du lac St-Point en évitant le défilé, que les forts de Joux et du
Larmont inférieur vont barrer plusieurs jours encore.
Les Français occupant les localités du
lac St-Point sont rapidement désarmés et, détail navrant, on en voit buvant le
Champagne avec leurs vainqueurs.
Vers 2100 je me trouvais à la Gd-Borne
où les événements qui s’y passaient réclamaient toute mon attention. Un coup de
téléphone de mon P.C. d’Orbe m’apprend que le tunnel du Mont-d’Or vient de
sauter. Je n’en crois pas mes oreilles, ayant seul le pouvoir d’ordonner cette
importante destruction. Il fallut un certain temps, temps qui me parut bien
long, pour percer le mystère, la circulation dans le tunnel étant rendue très
difficile et dangereuse par la fumée de l’explosion. Ce n’est qu’au cours de la
nuit que je pus avoir la certitude que c’était là l’œuvre des Français. Je
respirais ! Cet acte allait rendre le tunnel inutilisable pendant de
nombreuses années !
Au cours de cette journée du 17 juin,
les réfugiés se pressent à notre frontière, à pied, traînant des petits chars
avec ce qu’ils estimaient de plus précieux à sauver, en chars à chevaux, entre
autres. Leurs récits est navrant. Ils sont accueillis aussi bien que les
circonstances le permettent. Ordre est de les grouper à proximité de la
frontière. Les centres d’accueil sont organisés à l’Auberson (collège) et à
Ballaigues. Les autos et les chevaux sont parqués.
Réfugiés français à la Vallée de Joux sur le pont qui enjambe le canal de l'Orbe lequel relie le lac de Joux à celui de Brenet, situé devant le passage à niveau de la voie de chemin de fer Vallorbe - Le Brassus. Dans le fond l'Hôtel de "La Truite". Photo coll privée AC.
Les soldats qui se présentent (tous ne
veulent pas se laisser interner) sont désarmés et sont provisoirement cantonnés
à l’Auberson (halle de gymnastique), à Ballaigues et au Day, sous bonne garde.
Le 18.6. il fait très beau. Au cours
de la nuit du 17/18 et durant toute la journée, civils et soldats français sont
accueillis en grand nombre à nos postes frontières. Les soldats, qui ont
souvent erré de longues heures dans la forêt et qui se trouvent tout étonnés d’être « cueillis » sur territoire suisse, se laissent désarmer sans
difficultés. Tous sont atterrés par les moyens mis en œuvre par les Allemands.
A 0140, 1 sgt et 19 soldats sont
internés à Vers chez Touny (La Bessonnaz).
A 0950, des petits groupes (sans
officiers) entrent par la Gd-Borne et par la Limasse (route entre le col de l’Aiguillon de l’Auberson). La plupart
appartiennent à la ½ brigade de « Joyeux ».
A 1400, circulant en auto sur la
route de l’Auberson à l’Aiguillon par la
Limasse, je me heurte à un groupe de 11 soldats, qui, à mon apparition, se
jettent dans les fourrés : ils croyaient avoir à faire à des
Allemands ! Regroupés sagement, ils se laissent désarmer et mener aux Praz
par un seul homme du poste de la Limasse. Ils sont exténués, ayant erré toute
la nuit précédente dans les forêts du Mont de l’Herbaz (commune des Hôpitaux-Vieux).
A 1637, 10 soldats sont internés aux
Rochettes (à proximité de La Vraconnaz).
D’autres groupes arrivent à Crébillon (commune de Baulmes).
Il y a un mélange très grand d’unités.
Certains individus n’inspirent pas
grande confiance. Ainsi les « Joyeux », faisant partie de bataillon
disciplinaire. Ainsi un groupe assez nombreux de membres de la Brigade
internationale : ce sont des individus, non armés, de toutes nationalités,
qui ont fait campagne en Espagne dans l’Armée républicaine, se sont enfuis en
France à l’avènement de Franco, puis ont été poussés de côté et d’autre.
Longtemps je fais stationner ce détachement de l’autre côté de la frontière, à
la Gd-Borne, attendant des instructions concernant leur internement. Ils ne
prennent pas la chose au tragique, en ayant vu bien d’autres et sont tout
contents du ravitaillement (soupe, pain) que nous leur remettons. On finit par
les laisser entrer. Ils passeront la nuit sous bonne garde, à l’Auberson. L’app
Cornu de Ste-Croix qui s’occupe d’eux déclarait le soir à son Commandant :
« Foi d’appointé, jamais je n’ai fréquenté monde plus interlope et
cosmopolite ! ».
Le lendemain on les fait monter en
cars et pour s’en débarrasser, car ils constituent un danger certain, on essaye
tout d’abord de les glisser sur France dans la région de St-Gingolph,
inutilement. Cela réussit ensuite mieux à la frontière genevoise. Nous en
sommes débarrassés !
A l’Auberson la troupe frontière
disponible ne suffit plus pour assurer le service d’ordre. La D.A.P. (Défense Aérienne Passive) ou P.A. (Protection Aérienne) comme on l’appelle
maintenant, est mise sur pied dans ce but. Je dois relever ici le dévouement de
M Etienne Margot qui prit toute la responsabilité des réfugiés civils cantonnés
au Collège de l’Auberson et dans des familles. Il fournit un travail
considérable qui soulagea celui de la troupe.
En bref, ce jour-là, nous accueillîmes
et internâmes :
- À
la Gd-Borne : 300 civils, 26 soldats français, 51 travailleurs de la
Brigade internationale et de nombreuses autos.
- A
Ballaigues – Vallorbe : 272 civils, 315 soldats, 17 autos
Et à 1750, 2 voitures P.T.T.
contentant le trésor des forts de la région, voitures qui furent aiguillées et
convoyées sur Genève.
Dans la soirée, tous les réfugiés
civils, sauf les habitants des Fourgs, autorisés à rester à l’Auberson, furent
évacués en autocars sur Romont.
Au total, au cours des 2 derniers
jours ont été internés :
Civils
|
Soldats
|
Travailleurs
|
Autos
|
Chevaux
| |
À la Gd-Borne
|
524
|
48
|
61
|
10
|
17
|
A Crébillon
|
1
|
10
|
-
|
-
|
-
|
A Ballaigues
|
-
|
217
|
2
|
-
|
-
|
A Vallorbe
|
243
|
302
|
14
|
-
|
-
|
Au total dans le secteur de mon Rgt
|
768
|
577
|
77
|
10
|
17
|
Nous en arrivons à la journée du
mercredi 19 juin. La situation se détend. Nos troupes peuvent respirer.
Quelques soldats se présentent encore à la frontière : 5 à Ballaigues, 10
à Crébillon. L’évacuation se fait sur l’intérieur de la Suisse. Les réfugiés
des Fourgs et de Jougne sont autorisés à regagner leurs villages avec biens et
véhicules. Le reflux commence dans l’après-midi. Les plus timorés restent à
l’Auberson où ils sont si bien accueillis.
Que se passe-t-il ce jour-là l’autre
côté de la frontière ? Alors que nous n’avons aperçu encore aucun
Allemands à la Gd-Borne et à Vallorbe, les premiers se présentent à 0730 à la
Cure (St-Cergue). C’est que le défilé de la Cluse est toujours tenu par les
Français, des « Joyeux » qui ne se font pas faute, à la terreur des
habitants, de piller les maisons. Entre 1200 et 1300 le tunnel des Hôpitaux
saute, ainsi que la route aux environs de Jougne. Une mine saute sur la route
La Gaufre – Les Fourgs. Au Cochet on entend la canonnade en direction du
Mont-d’Or. On signale qu’à Pontarlier les Français « fraternisent »
avec les Allemands qui se montrent très corrects.
Journée du jeudi 20.6.
La plupart des réfugiés frontaliers,
rassurés et réconfortés, ont regagné leurs villages. Il n’en reste qu’une
quinzaine à l’Auberson.
2 soldats français entrent encore par
Ballaigues.
18 soldats français entrent encore par
le Reposoir.
D’autres groupes longent la frontière,
ne voulant pas se laisser internés. Ils cherchent à regagner leurs unités. Ils
n’y parviendront pas, car ils sont pris dans une nasse. Entre 1400 et 1500 on
entend la canonnade en direction de Pontarlier.
Dans cette ville les Allemands ont
commencé la réfection des ponts. La population doit collaborer à ces travaux.
On y signale le pillage de magasins abandonnés par leurs propriétaires. Le
maire de Jougne fait publier l’avis suivant : « Les Allemands sont
dans la région. J’invite la population au calme et à rester chez elle,
spécialement de garder les enfants dans la maison, de façon à ce qu’il n’y ait
pas d’incidents. »
Les maires de plusieurs communes
viennent à la frontière demander du pain pour leurs administrés. Ainsi, à
Jougne, il ne reste que 15 sacs de farine. Il est fait droit à leur demande
dans la mesure du possible. Au soir de ce jour-là aucun soldat allemand n’a
fait son apparition à la Gd-Borne au Creux.
Le vendredi 21.6. L’Auberson a repris
sa physionomie paisible. D.A.P. et samaritains sont licenciés. Etienne Margot
est officiellement remercié pour la façon magistrale dont il a organisé
l’accueil des réfugiés civils.
3 officiers français se présentent à
la Gd-Borne, mais refusent de se laisser internés. Ils repartent après avoir
été réconfortés. Ils n’iront certainement pas bien loin.
Samedi 22.6.
C’est le jour de la signature de
l’armistice franco-allemande à Compiègne. Il entrera en vigueur dans 2 jours
seulement, le 24.6. à 0035.
Quelques soldats français sont encore
internés :
4 qui se présentent à Gascon (chalet d’alpage, commune de Baulmes) ;
1 à Vallorbe.
De l’autre côté de la frontière tout
paraît calme. Mais chez nous règne encore de l’anxiété due d’’une part à un
certain nombre de suspects qui sont arrêtés et d’autre part à la présence à La
Cluse, aux forts de Joux et de Larmont d’un fort détachement de
« Joyeux » qui tiennent ces points. Ceux d’entre-eux venus à la
Gd-Borne disent qu’ils sont 300. Ils mènent joyeuse vie et terrorisent la
population. On s’attend à leur refoulement sur Suisse, aussi que d’un certain
nombre de civils suspects hantant la région. Pour contenir ou interner cette
racaille on met un nouveau bataillon à ma disposition (bat.4). Il stationne
dans la région de Vuiteboeuf, prêt à être transporté en camion. A toute éventualité,
je fais monter une de ses Cp. (II/4) à Ste-Croix.
Le dimanche 23.6. des nouvelles
alarmantes nous parviennent : on signale que plusieurs centaines de
soldats s’acheminent du Frambourg sur l’Auberson. La Cp. II/4 est alarmée à
Sainte-Croix et se rend à l’Auberson. On s’apprête à accueillir ces
détachements. Il est ordonné de séparer à leur arrivée les soldats de l’armée
régulière d’une part et les « Joyeux » d’autre part. Pour ces
derniers 20 places sont retenues à Bochuz et 260 à Bellechasse où ils seront
conduits illico. Mais personne ne se présente au cours de la
journée !
Alors qu’aucun uniforme allemand n’est
encore apparu à la Gd-Borne, dans l’après-midi 3 autos blindées allemandes ont été
signalées à Jougne.
Devant la gare de Pontarlier. Photo coll privée AC. |
Lundi 24.6.
Les trouves allemandes affluent à
Pontarlier. Les forts de Joux se rendent, mais ne seront occupés que 2 jours
plus tard par les Allemands. Au moment où l’armistice est entré en vigueur (à
0035) une courte cérémonie a lieu dans nos postes frontières : moment de
recueillement à la mémoire des soldats tombés pour leur pays. Les conditions imposées
à la France sont commentées avec tristesse. Consternation d’une part,
satisfaction d’autre part d’avoir échappé à un tel déshonneur. Dans
l’après-midi un soldat polonais bien équipé, mais portant sur son visage toute
la douleur de son peuple, est arrivé à Sainte-Croix dans les champs de la Joux,
derrière le stand. Au Moulin du Creux on prépare de la farine pour les
habitants de Jougne, affamés.
L’ordre arrive du commandement de
l’armée de ne plus admettre de réfugiés et d’internés.
Mardi 25.6.
Nous recevons l’ordre suivant du
général : « Les autorités militaires allemandes qui occupent le
territoire français le long de notre frontière ont, à notre égard, une attitude
parfaitement correcte. J’attends de nos propres troupes qu’elles y répondent
par la même attitude. »
Sporadiquement des soldats français,
pourchassés, se présentent à nos postes. La guerre étant terminée ils sont
refoulés. A 1500 les premiers casques allemands apparaissent au Creux. Ce sont
2 officiers en auto. Ils déclarent être fiers d’être parvenus jusqu’à notre
frontière et que la Suisse n’a rien à risquer.
Mercredi 26.6.
La situation est détendue. Je puis
renvoyer le bat. 4 à son Rgt.
A Pontarlier on signale 8'000 soldats allemands,
à Champagnole 7'000 (c’est peut-être exagéré). De nombreuses troupes motorisées
traversent Pontarlier se dirigeant sur Lyon. A Pontarlier la population est
calme, mais vit dans une certaine craint. La « Kommandantur » placarde l’affiche suivante :
a) Tout civil qui endommagera les
installations sf (sans-fil) et
électriques sera puni de mort.
b) Les étrangers doivent se présenter aujourd’hui à la Kommandantur.
c) L’heure
de l’Europe centrale fait règle à Pontarlier.
Peu à peu les troupes allemandes
viennent border notre frontière. On remarque qu’elles sont porteurs de cartes
de la région très bien faites, imprimées en Allemagne.
Au Creux à 1150, 3 officiers allemands
prennent possession du poste de douane français. A 1230 y arrivent 15 soldats,
ils viennent de Dunkerque, ont fort bonne façon, mais sont pleins d’eux-mêmes.
Ils laissent entendre qu’ils comptent pouvoir bientôt rentrer à la
maison !
A 1555 le drapeau allemand est hissé sur le poste en présence
du général Schmidt et de son E.M. (Etat-major).
Cet officier dit à notre chef de poste avoir assisté aux manœuvres de
l’armée suisse en 1922.
A la Gd-Borne c’est à 1610 que les
premiers Allemands font leur apparition dans une auto blindée qui fait immédiatement
½ tour. Mais à 2000 une sentinelle est postée face à la nôtre. L’impression est
considérable. C’est la 1ère fois que le fait se reproduit depuis
1871. A l’époque, mon père, comme capitaine fut mêlé à un incident semblable.
Les faits saillants des jours suivants
sont rares. Une page d’histoire est tournée.
Mentionnons encore quelques incidents
pour que notre narration soit complète :
Le 28.6., 2 officiers polonais, qui
ont réussi à se mettre en civil, sont arrêtés dans la région de la gare de
Vallorbe et à 2200 un soldat polonais est arrêté dans la région du Château de
Sainte-Croix. Il errait dans la contrée depuis 4 jours. Tous sont refoulés sur
France.
Quelques jours plus tard (1.7.) 1
officier et 2 sous-officiers polonais qui erraient eux aussi depuis 2 semaines
le long de notre frontière se font appréhender au Chalet Gascon et sont
refoulés.
Vers le 20 juin un groupe de 4 soldats
(1 Parisien, 1 Boulonnais, 2 Alsaciens) s’était installé dans le chalet de la
Piègrette près de Bel Costa, à une centaine de mètres de notre frontière. Ils
s’y coulaient la vie douce en se ravitaillant à Jougne et ne voulurent pas se
laisser interner alors qu’il en était temps. Mais bientôt, Jougne étant occupé,
ils en exprimaient le désir alors que
c’était trop tard. Ils déclarent être décidés à entrer en force en Suisse pour
ne pas tomber aux mains des Allemands. Je dus monter une nuit à Bel Costa faire
comprendre moi-même que notre poste s’opposerait par la force à toute tentative
de pénétrer chez nous. Je me rappellerai toujours cette conférence sous un
sapin, dans l’obscurité. Elle se termina par le partage d’une bouteille
par-dessus le mur frontière. Ils disparurent alors définitivement dans la nuit.
C’était le 6 juillet. Ce jour-là eut lieu un autre incident à Jougnenaz (à proximité du col de l’Aiguillon) qui
eut pu avoir des conséquences tragiques : la sentinelle d’un de nos fortins aperçut un groupe de 6 officiers
allemands qui se baladait sur notre territoire. Après sommation, le poste
ouvrit le feu. Le groupe disparut en vitesse, agitant un mouchoir blanc et
emmenant un blessé. L’incident fut réglé sur place quelques jours plus tard
dans une conférence entre officiers allemands et suisses. Les Allemands
reconnurent leurs torts et la chose en resta là.
Le 6 juillet 1940 les bat. fr., moins
l’élite, étaient licenciés. Chacun crut que c’était pour de bon. Ce ne fut,
comme vous le savez, hélas, pas le cas.
Arrivé à la fin de mon exposé, je vous
remercie pour votre attention, m’excusant d’avoir été si long et vous avoir
présenté d’une façon probablement bien hachée et confuse des faits que j’ai
toutefois jugé dignes de vous intéresser puisqu’ils se passaient dans une
région qui vous est et qui m’est chère.
Colonel Joseph
Junod
Droits de
reproduction réservés (AC)
Commentaires
Enregistrer un commentaire